Dernière modification de l’article le 26 mai 2025 par Admin
Vous croyez que ce sont vos consignes qui posent le cadre ?
Que ce sont vos mots qui font autorité ?
Vos règles, vos rappels, vos consignes écrites au tableau ?
Vraiment ?
Et si, sans le savoir, tout se jouait avant même que vous ouvriez la bouche ?
Parce que le langage n’est pas que verbal.
Et ce que vous transmettez sans parler…
… est parfois 100 fois plus fort que vos phrases bien construites.
On entend souvent que « 80 % de la communication est non verbale ».
Ce que vous êtes parle bien plus fort que ce que vous dites.
Alors avant de vouloir poser un cadre, posez-vous cette question :
Que dégagez-vous, sans parler ?
Votre posture est-elle claire… ou floue ?
Votre présence est-elle ancrée… ou dispersée ?
Article et texte écrits par Jean-François MICHEL Auteur « Les 7 profils d’apprentissage » Éditions Eyrolles 2005, 2013, 2019 et 2024
Et si votre autorité tenait moins à ce que vous dites… qu’à ce que vous dégagez ? Savez-vous que la communication n’est pas seulement verbale, mais surtout non verbal. On dit en psychologie que le langage est à 80% non verbale, ce n’est qu’un abus de simplification, il fait sens même si scientifiquement c’est faux [1] même si psychologie et éducation ne font qu’un.
Commençons par une image.
Imaginez une rivière.
Ses berges sont solides, claires, visibles.
L’eau y circule avec puissance, mais sans débordement.
Maintenant, imaginez une rivière sans rive.
Le lit s’élargit.
L’eau s’éparpille.
La force du courant se perd dans la boue.
Un cadre pédagogique, c’est ça : les rives d’un fleuve.
Ni murs, ni barbelés. Juste un espace clair où l’énergie peut circuler.
❌ Le piège du contrôle
« Plus vous serrez le poing, plus ce que vous tentez de tenir vous échappe. »
Certains enseignants pensent qu’ils doivent tout verrouiller.
Chaque minute de cours chronométrée.
Chaque élève sous surveillance.
Chaque mot contrôlé, chaque réaction anticipée.
⚠️ C’est l’illusion du pilote automatique.
L’idée que si tout est sous contrôle, alors tout se passera bien.
Mais l’école n’est pas une usine.
Et vos élèves ne sont pas des rouages.
Contrôler, c’est croire que tout dépend de vous
Mais à vouloir tout maîtriser, vous devenez prisonnier de votre propre système.
Un système où le moindre imprévu est vécu comme une menace.
Une remarque d’élève ? → Recadrage immédiat.
Un rire dans le fond ? → Consigne répétée à voix haute.
Un oubli de cahier ? → Punition automatique.
Résultat ?
Vous devenez un garde-frontière pédagogique, à la fois épuisé et suspecté.
Vos élèves ne coopèrent plus. Ils résistent.
Par défi, par jeu, par instinct.
Le contrôle crée du théâtre, pas du respect
Les élèves jouent un rôle. Ils font « semblant ».
Devant vous, ils obéissent.
Derrière vous, ils commentent, testent, transgressent.
Vous avez gagné l’apparence de l’ordre…
… et perdu la profondeur du lien.
Plus vous contrôlez, plus vous devez continuer à contrôler
C’est l’effet cliquet : chaque nouvelle règle appelle une nouvelle sanction et
chaque sanction appelle une nouvelle justification.
Et pendant que vous passez votre temps à surveiller… :
vous n’enseignez plus ;
vous n’accompagnez plus ;
vous gérez, comme un agent de sécurité.
Le cadre est un guide. Le contrôle est une prison.
Un bon cadre dit :
« Voici les règles, voici pourquoi. Tu es capable de les suivre. »
Le contrôle dit :
« Je ne te fais pas confiance. Je surveille tout. »
Et ça, vos élèves le sentent, même les plus jeunes, surtout les plus jeunes.
Règle d’or :
Aussi bizarre que cela puisse paraître, moins vous cherchez à tout contrôler, plus vous avez d’impact.
Un enseignant respecté ne contrôle pas : il canalise, il inspire, il influence sans forcer.
✅ Poser un cadre en éducation, ce n’est pas verrouiller : c’est canaliser
« Vous n’avez pas besoin d’un cadenas. Vous avez besoin d’un courant. »
Un cadre en éducation, ce n’est pas une cage.
Ce n’est pas non plus un grillage, ni un contrat d’assurance contre le chaos.
C’est un canal de circulation.
Un espace balisé dans lequel l’énergie — l’attention, la parole, la concentration — peut circuler sans se disperser.
Un bon cadre en éducation, c’est un champ magnétique.
Vous ne le voyez pas, mais vous le ressentez.
Et surtout : vos élèves le ressentent.
Sans qu’on leur dise quoi que ce soit, vos élèves savent qu’il y a des limites.
Pas parce qu’ils ont peur, mais parce qu’ils perçoivent une présence claire, alignée, cohérente.
Un cadre efficace en éducation, c’est comme les rails d’un manège.
Sans les rails, le wagon part dans tous les sens.
Avec trop de rails, on ne bouge plus.
L’équilibre est là : entre liberté et direction, entre souplesse et structure.
Et ce cadre invisible, mais palpable, repose sur trois leviers puissants.
1. La congruence : votre cadre commence en vous
Si vous exigez le calme en étant tendu, vous n’êtes pas crédible.
Si vous posez des règles que vous n’appliquez pas, vous semez le flou.
C’est la que la loi du non verbal prend tout son sens : il y a une incohérence entre ce que vous dite et votre attitude. Le message diffusé est donc : je n’ai pas d’autorité, je ne suis pas crédible.
Car, l’élève ne retient pas ce que vous dites,il retient ce que vous incarnez.
La congruence, c’est cette cohérence entre votre parole, votre posture et votre énergie.
C’est ce qui fait qu’un enseignant n’a pas besoin de crier pour être écouté.
Il irradie l’autorité, comme un phare, pas comme une sirène de police.
2. Ce qui est flou en éducation sera toujours contesté
Un cadre mal posé, c’est comme un panneau de signalisation effacé.
On ralentit… ou on fonce dedans.
Ce n’est pas aux élèves de deviner les règles, ni de lire entre les lignes, ni d’interpréter vos silences.
Votre cadre doit être visible, explicite, constant.
Et surtout : il doit avoir du sens.
Pas « parce que c’est comme ça », mais parce que vous avez pris le temps d’expliquer, de contextualiser, de relier à ce qui compte.
Les élèves n’aiment pas les règles absurdes, ils respectent les règles justes ou perçues comme telles.
3. Le lien : pas de cadre solide sans relation humaine
Un cadre, ce n’est pas un règlement collé au mur.
C’est une trame relationnelle.
Si un élève se sent jugé, étiqueté, ignoré, il testera le cadre.
Mais s’il se sent considéré, vu, écouté… alors il l’acceptera, même s’il râle, même s’il résiste.
Parce que derrière la règle, il sent qu’il y a un adulte qui tient bon. Pas par égo, mais par bienveillance.
Ce n’est pas la force qui fait tenir un cadre, c’est l’intention qui l’anime.
Un enseignant qui pose un cadre pour protéger l’apprentissage,
pour préserver le groupe,
pour faire grandir chacun…
… cet enseignant-là n’est jamais autoritaire : il a l’autorisé.
Le vrai pouvoir : la cohérence émotionnelle
« Vous n’êtes pas suivi pour ce que vous dites. Vous êtes suivi pour ce que vous rayonnez. »
Il y a des enseignants qui imposent le silence…
Et d’autres chez qui le silence s’installe naturellement.
Il y a ceux qui menacent…Et ceux dont le regard suffit.
La différence n’est pas dans le volume, ni dans la posture.
La différence se joue à un niveau plus subtil, presque imperceptible.
Elle se joue dans ce qu’on appelle la cohérence émotionnelle.
C’est quoi, au juste ?
C’est quand vos émotions, votre voix, votre corps et votre intention sont alignés.
Pas besoin de jouer un rôle, pas besoin de forcer pas besoin de contrôler.
Vous êtes pleinement présent, clair sur vos limites, ancré dans votre mission.
Et cette cohérence-là… vos élèves la sentent immédiatement.
Comme on sent si une pièce est tendue ou apaisée, sans que personne n’ait parlé.
En classe, votre état intérieur est votre premier outil pédagogique et éducatif
Pas vos fiches, pas vos slides, pas vos routines.
Votre état émotionnel est contagieux.
Si vous êtes stressé, ils s’agitent.
Si vous êtes crispé, ils testent.
Si vous êtes aligné… ils s’alignent.
Vous êtes le diapason du climat de la classe.
Et ce que vous vibrez, ils l’accordent.
♀️ Plus vous êtes centré, plus vous devenez solide… sans dureté
La cohérence émotionnelle, ce n’est pas l’autoritarisme.
Ce n’est pas « je ne montre rien », ce n’est pas « je contrôle tout ».
C’est la présence tranquille d’un adulte qui sait pourquoi il est là.
Qui connaît ses valeurs, et qui les incarne même quand c’est difficile.
Et c’est dans les tempêtes que cette autorité tranquille révèle toute sa force
Un élève conteste ? Un autre provoque ? Le groupe dérive ?
La tentation est grande : crier, hausser le ton, menacer.
Mais si vous êtes centré, ancré, cohérent, vous pouvez dire les choses fermement sans vous agiter. Et c’est là que la magie opère.
Un adulte qui reste stable face à l’instabilité d’un jeune…
C’est un repère, pas un rival.
Tempête n°1 : L’élève qui conteste ouvertement devant toute la classe
Contexte :
Vous venez de rappeler une règle simple (« On ne parle pas quand quelqu’un d’autre a la parole »).
Un élève vous interrompt, agacé :
« Ouais ben vous dites ça, mais hier vous avez laissé Mehdi parler sans lever la main ! »
❌ Réaction classique :
Hausser la voix : « Tu ne vas pas commencer à discuter toutes les règles ! »
Résultat : vous entrez dans un rapport de force.
✅ Réaction cohérente et calme :
(temps de silence, regard calme, voix posée)
« Je t’entends. Tu trouves que ce n’est pas juste. On pourra en parler après le cours si tu veux. Mais là, je termine mon explication. »
Ce que vous faites ici :
– vous ne fuyez pas la remarque,
– vous ne vous énervez pas,
– vous posez un cadre avec fermeté et calme.
Et vous transformez le défi en appel au respect.
Tempête n°2 : Deux élèves se chamaillent pendant que vous parlez
Contexte :
Vous êtes en pleine explication. Dans le fond, ça rigole, ça se chahute.
L’agacement monte.
❌ Réflexe courant :
« Les deux du fond, vous allez vous calmer oui ?! Si vous continuez comme ça, vous sortez ! »
✅ Autorité tranquille :
(Vous vous arrêtez de parler. Vous les regardez en silence. Le calme se fait peu à peu.)
Puis, d’une voix posée :
« J’ai besoin de votre attention à tous pour que ce moment ait du sens. Si vous n’êtes pas prêts maintenant, vous me le dites. »
Ici, vous suspendez le temps.
Le silence, la posture, le regard…
Vous maîtrisez la scène sans élever la voix.
Et surtout : vous faites appel à leur responsabilité, pas à la menace.
Tempête n°3 : Un élève refuse une consigne
Contexte :
Vous distribuez un travail. Un élève recule sa chaise.
« Moi j’fais pas. Ça sert à rien ce truc. »
❌ Réaction impulsive :
« Tu fais comme les autres, t’as pas le choix ! »
✅ Réaction ancrée :
(Respiration. Ton ferme, calme.)
« Tu as le droit de ne pas aimer. Mais dans cette classe, chacun fait sa part.
Je te demande de commencer. On reparlera du sens de l’exercice ensuite. »
Ici, vous posez le cadre sans confrontation frontale.
Vous montrez que le désaccord n’annule pas la règle, et vous gardez la relation ouverte.
Ce qui fait la différence dans ces situations ?
- Vous gardez le contrôle de vous, pas des autres.
- Vous ne vous laissez pas entraîner par l’émotion de l’élève.
- Vous répondez par le haut (intention + calme), pas par le bas (réaction + égo).
Le vrai pouvoir n’est pas dans l’escalade. Il est dans la maîtrise de soi
Et cette maîtrise-là ne s’improvise pas.
Elle se cultive.
Chaque matin, chaque retour au calme, chaque respiration avant de parler.
La cohérence émotionnelle, c’est le socle de l’autorité incarnée.
Celle qu’on n’explique pas.
Celle qu’on ressent.
Vous voulez poser un cadre fort sans être dur ?
Vous voulez être respecté sans forcer ?
Commencez par là.
Pas par un ton plus sec.
Pas par des sanctions plus dures.
Commencez par vous.
Car vous êtes le cadre.
1. Le micro-check émotionnel (avant chaque prise de parole)
Objectif : éviter de parler sous tension ou en réaction.
Avant de prendre la parole pour faire une remarque, donner une consigne ou recadrer un élève :
Faites une pause d’1 seconde.
Posez-vous cette question mentale :
« Est-ce que je parle pour réguler… ou pour me défouler ? »
Si c’est le second… attendez encore un peu. Respirez. Puis reformulez.
Bien sûr, vous n’allez pas y arriver du premier coup ! Mais, à force de pratique, cette micro-habitude change la manière dont vous intervenez…
et le climat entier de la classe.
2. La respiration de récupération (après une tension)
Objectif : revenir à soi quand l’ambiance monte ou qu’on sent l’énervement grimper.
Dès que vous sentez la tension dans votre corps :
– Inspirez sur 4 temps
– Retenez sur 2
– Expirez sur 6
À faire discrètement en marchant dans la classe, pendant un silence ou quand les élèves écrivent.
Vous dégagez une énergie apaisée, sans rien dire.
Votre respiration devient votre autorité.
3. Le retour sur soi : le soir, 3 questions
Objectif : progresser sans culpabiliser, affiner son autorité.
Chaque soir (ou chaque semaine), prenez 3 minutes pour répondre à :
- Quand est-ce que j’ai réagi avec calme aujourd’hui ?
- Quand est-ce que j’ai perdu le contrôle (même légèrement) ?
- Qu’est-ce que je peux faire différemment la prochaine fois ?
✍️ Notez une intention claire pour le lendemain : « Demain, je poserai les limites sans hausser le ton. »
Ce n’est pas de la perfection qu’on cherche, mais de la pratique. Au début, ça sera hésitant, voire même vous trouverez cela ridicule. Tenez bon et garder votre ligne de conduite. Avec la pratique vous montez en conscience.
Et cette conscience, elle vous aligne.
4. Le rituel d’entrée en classe (qui vous recentre avant eux)
Objectif : ouvrir chaque cours dans une posture d’autorité calme.
Avant que les élèves n’entrent, tenez-vous debout à l’entrée ou à votre bureau.
Respirez. Tenez-vous droit. Regardez-les arriver sans parler.
Accueillez-les avec un simple regard, un signe, un mot neutre.
Pas besoin de démarrer par :
« Allez, installez-vous, on commence, pas de bavardage ! »
Vous commencez en présence.
Et cette présence crée l’autorité sans la parole.
Références et sources
[1] Albert Mehrabian a mené plusieurs expériences sur la communication des émotions, notamment dans deux articles clés :
-
Mehrabian, A., & Wiener, M. (1967) – Decoding of inconsistent communications
-
Mehrabian, A., & Ferris, S. R. (1967) – Inference of attitudes from nonverbal communication in two channels
Les chiffres originaux de Mehrabian :
Lorsqu’un message est émotionnel et incohérent (ex : dire « je suis content » avec une voix neutre ou un visage fermé), l’interlocuteur s’appuie :
-
à 55% sur le langage corporel (gestes, posture, expressions faciales),
-
à 38% sur le ton de la voix (intonation, rythme),
-
à 7% sur les mots eux-mêmes.
Ce qui donne les fameux « 93 % de communication non verbale ».
⚠️ Mais attention : Mehrabian lui-même a précisé plus tard que :
« Ces chiffres ne s’appliquent qu’à des communications émotionnelles incohérentes et dans des situations très spécifiques. »
Il n’a jamais affirmé que 93 % de toute la communication humaine est non verbale.
✅ En résumé :
-
❌ Non, le langage n’est pas non verbal à 80 %.
-
Dans certaines situations émotionnelles, quand il y a un décalage entre ce qu’on dit et ce qu’on montre, les gens font plus confiance au non verbal.
-
Référence : Mehrabian, A. (1971). Silent Messages: Implicit Communication of Emotions and Attitudes. Wadsworth.
✅ Ce que les experts affirment à la place :
La communication humaine est multimodale.
Le verbal et le non-verbal sont interdépendants.
Susan Goldin-Meadow, spécialiste du geste et du langage, explique que les gestes peuvent précéder l’apprentissage verbal (chez les enfants) et renforcer la mémoire.
Mais le contenu verbal reste central, notamment pour les apprentissages abstraits.
Autres références utiles :
-
Knapp & Hall (2013) – Nonverbal Communication in Human Interaction
-
Burgoon, Guerrero & Floyd (2016) – Nonverbal Communication
Top
Merci
Je ne suis pas prof mais vos conseils peuvent aider pour chez moi avec 2 ados
Bonjour,
Merci! pour votre message. Oui, en effet, le thème vaut aussi pour les parents.
Bonne journée
Bien cordialement
Jean-François
Merci pour ces très beaux et bon conseils.
Bonjour,
Merci pour votre message d’encouragement 🙂
Bien cordialement
Jean-François
top excellents conseils
Merci pour vos encouragements
Bien cordialement
Jean-François
Merci pour cet article. Je comprends mieux ce qui a changé dans mon rapport avec les élèves au fil des années : je suis plus apaisée et, visiblement, ils le ressentent. Je n’avais pas conscience qu’il s’agissait de cela.
Et, plus que tout, la relation humaine.
Quoiqu’il en soit, je n’ai jamais eu d’élèves véritablement difficiles… je conserve donc ces conseils précieusement.
Merci pour votre message.
Cela joue beaucoup, et cela vient avec l’expérience.
Je ne l’ai pas mis dans l’article (autrement il n’était jamais fini), mais ce que les élèves sentent c’est si vous êtes là parce que vous aimez votre métier, voire par passion.
J’ai eu des élèves pas évidents du tout! Mais en fin de scolarité c’est ce qu’ils me disaient « On voit que vous êtes là par plaisir et pour nous« . Dans ce contexte, il est plus facile de poser un cadre.
Bien cordialement
Jean-François