Dernière modification de l’article le 20 juin 2025 par Admin

Vous aussi, vous l’avez vu passer ? Cette énième formation « certifiée neurosciences »…
Toujours la même promesse :
« Comprenez enfin comment fonctionne le cerveau pour mieux enseigner »
… et ce post LinkedIn racoleur qui vous promet de « hacker le cerveau de vos élèves » comme s’il s’agissait d’un mot de passe Wi-Fi.

Et puis cette phrase magique :
« Les dernières découvertes en neurosciences prouvent que… »
… suivie d’un enrobage de jargon, de jolies couleurs, d’IRM cérébrales sorties tout droit de Google Images.

Mais à la fin, quand on gratte le vernis ?
Rien.
Aucune application concrète.
Pas un seul outil.
Pas une seule mise en situation.
Rien que des concepts qui flottent au plafond, comme des lanternes qu’on admire… sans jamais pouvoir les attraper.

Alors vous lisez. Vous vous informez. Vous vous dites :
« Il faut bien que je m’y mette… tout le monde en parle, ça a l’air sérieux. »

Vous ouvrez un livre. Puis deux. Puis un article scientifique mal traduit.
Vous surlignez. Vous annotez. Vous vous accrochez.

Mais à la fin ?

Vous avez l’impression d’avoir mangé une encyclopédie… sans jamais digérer.
Comme si on vous avait servi un banquet de luxe…
… sans fourchette, sans couteau, et surtout sans table.

 

Vous allez me dire que je suis dure ! Peut-être, mais j’ai été enseignant presque 20 ans : quand vous avez 30, 35 élèves vous avez besoin de solutions concrètes, directement applicables et qui fonctionnent, ou en tout cas qui permet d’avancer.

Vous êtes repu de concepts. Mais affamé de savoir « je fais comment là !? ».

Et surtout : frustré.

Frustré parce que vous êtes sur le terrain. Vous avez de vraies classes. De vrais élèves.
Et ce dont vous avez besoin, ce ne sont pas de jolies phrases sur la plasticité cérébrale, mais de leviers clairs, simples et efficaces, testables dès lundi matin.

Vous commencez à vous dire :
« Et si tout ça, c’était surtout du théâtre pédagogique ? »

Avec une mise en scène savante. Un vocabulaire élitiste. Des conférenciers à la diction impeccable.
Mais aucun lien avec la vraie vie.
Aucune main dans le cambouis.
Aucune prise avec le réel.

Et c’est là que naît la confusion.
Parce que vous, vous n’avez pas besoin d’un cours de biologie avancée.
Vous avez besoin d’outils pédagogiques qui respectent ce que la science vérifie, mais que vous pouvez adapter.

Si vous êtes enseignant ou formateur, vous avez mieux à faire que de collectionner des concepts comme des timbres.

Ce que vous voulez, c’est transformer vos pratiques, pas décorer vos discours.

Et c’est tout l’enjeu du vrai sujet : Comment passer des neurosciences-spectacle aux neurosciences-pratiques ?

Attention à la neuroséduction

C’est le nouveau maquillage pédagogique.

Il suffit de coller un préfixe magique — « neuro » — devant n’importe quoi, et boum, l’idée devient sérieuse.
Neuro-éducation. Neuro-apprentissage. Neuro-réussite.
Et bientôt quoi ? Neuro-récréation ? Neuro-bulletin trimestriel ? Neuro-biscotte pédagogique ?

Bienvenue dans l’ère de la neuroséduction.
Une époque où le marketing a piqué la blouse blanche du chercheur.
Et où le simple fait de montrer un cerveau en couleurs dans un PowerPoint suffit à faire taire toute objection.

Mais le pire, c’est que ça marche.

Pas parce que c’est vrai.
Parce que c’est séduisant.
Et c’est exactement ce que démontre l’étude devenue culte de Weisberg et al. (2008) [1]:

Quand on ajoute des termes neuroscientifiques, même inutiles, à une explication psychologique… les gens la trouvent plus crédible.
(The Seductive Allure of Neuroscience Explanations, Journal of Cognitive Neuroscience, 2008)

Même quand l’explication est fausse.
Même quand elle n’a aucun sens.
Le simple fait d’y glisser le mot « cerveau » suffit à activer le réflexe pavlovien : « Ah, c’est scientifique ! »

Une autre étude de Fernandez-Duque et al. (2015) enfonce le clou [2] :

Des informations neuroscientifiques superflues rendent une explication plus persuasive, même aux experts.
(Journal of Cognitive Neuroscience, 2015)

En d’autres termes ?
Le cerveau humain adore qu’on lui parle de lui-même.
Et encore plus quand on le fait avec des mots compliqués.

Mais posons la vraie question, celle qui devrait toujours précéder l’inscription à une formation « neuro » :

Est-ce que vous, enseignant, formateur, êtes devenu plus efficace après avoir suivi ce contenu ?
Avez-vous modifié une seule pratique dans votre salle de classe ?
Votre regard sur l’apprentissage a-t-il réellement changé… ou juste votre vocabulaire ?

Si la réponse est non…
Alors vous êtes tombé dans le piège des concepts sans conséquences.
Une illusion de progrès.
Un vernis scientifique sur des idées creuses.

Et c’est là que ça devient dangereux.
Parce qu’on en vient à croire qu’on maîtrise l’apprentissage…
… parce qu’on peut en parler avec des mots savants.

Mais entre comprendre le fonctionnement du cerveau…
… et savoir quoi en faire face à un élève de 12 ans en décrochage complet…
il y a un monde.

Un monde que les PowerPoint ne traversent pas.

La neuroséduction, c’est du brainwashing soft.
Ce n’est pas une arnaque, c’est pire : c’est une illusion de compétence.
On croit savoir. On croit comprendre.
Mais au fond… rien ne change dans les pratiques.

Parce que rien n’est transféré dans la vraie vie.
Dans votre vie. Celle de la classe. Celle des visages, des silences, des « j’ai pas compris », des « à quoi ça sert ? ».

Et si on revenait à l’essentiel ?
Appliquons cette règle simple à chaque contenu neuroscientifique :

Si je ne peux pas l’utiliser dès demain dans ma classe… alors c’est que ce n’est pas encore prêt pour l’enseignement.

Voilà la vraie ligne rouge.
Pas entre science et pédagogie.
Mais entre savoirs qui nourrissent…
… et discours qui endorment.

 

Neurosciences, c’est quoi vraiment ?

Ce n’est ni une baguette magique,
ni un totem pour formateurs branchés,
ni une formule secrète pour « activer » le cerveau de vos élèves comme on activerait un compte Netflix.

C’est une science dure, rigoureuse, complexe, pluridisciplinaire. [3]

Les neurosciences regroupent l’ensemble des disciplines qui étudient le système nerveux, et en particulier le cerveau, dans ses fonctions cognitives, émotionnelles, sociales, motrices et physiologiques [4].
Cela inclut :
– la neuroanatomie,
– la neurophysiologie,
– la neuroimagerie,
– la neuropsychologie,
– la neurologie,
– et même une part de la biologie moléculaire et de la génétique.

Parmi les figures majeures du domaine :

  • Antonio Damasio, célèbre pour ses travaux sur le rôle des émotions dans la prise de décision (cf. L’erreur de Descartes).
  • Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France, connu pour ses recherches sur la lecture et les mécanismes de l’attention (Apprendre !, Les neurones de la lecture).
  • Jean-Pierre Changeux, pionnier en neurobiologie, qui a contribué à faire connaître le lien entre cerveau et conscience.

Les neurosciences reposent sur des outils extrêmement précis :
électroencéphalogrammes,
IRM fonctionnelle,
TEP scan,
stimulation magnétique transcrânienne,
et surtout, des méthodologies scientifiques exigeantes :
études contrôlées, groupes expérimentaux, statistiques robustes, revues à comité de lecture.

On est loin du petit schéma simpliste « cerveau gauche / cerveau droit » imprimé sur une feuille A4.

Une science… pas un spectacle

Non, ce n’est pas une série Netflix en blouse blanche.

Les neurosciences ne décrètent pas.
Elles testent.
Elles invalident leurs propres hypothèses.
Elles progressent lentement, parfois en désaccord, souvent avec des incertitudes.

Et surtout :

Elles ne donnent aucune recette miracle.
Elles offrent des données brutes, des modèles, des probabilités, mais jamais des méthodes toutes faites pour enseigner ou former.

Entre boussole et bottes de terrain

Pour autant, les contenus en neurosciences appliquées à l’éducation ne sont pas à rejeter.
Au contraire. Il y a du très bon travail, de vrais chercheurs, de véritables lumières.
Mais ils ont un point commun :l ’humilité.

L’humilité face à la complexité de la nature, face à ce merveilleux organe qu’est le cerveau,
capable d’apprendre à lire, à rêver, à espérer…
… mais aussi de décrocher en plein milieu d’une consigne, ou d’oublier ce qu’il a vu la veille.

Et surtout :
l’humilité de reconnaître qu’ils ne sont pas en salle de classe.
Qu’ils ne tiennent pas la craie.
Qu’ils ne gèrent pas la 5e C un lundi matin de novembre.

Les neurosciences sont une lampe torche.
Mais vous, enseignant, êtes celui qui éclaire le chemin avec cette lampe,
dans un couloir bruyant, glissant, imprévisible,
avec 28 élèves derrière vous… et parfois zéro notice devant.

Alors gardez la boussole des neurosciences,
mais ne lâchez jamais vos bottes de terrain.

Car c’est vous qui faites le pont.
Pas eux.

Et c’est dans votre salle de classe que la science devient transformation,
ou reste… inspiration sans incarnation.

 

Le vrai test ? Le terrain.

Car voici la vérité qui dérange :

Les neurosciences n’ont de valeur en pédagogie que lorsqu’elles passent l’épreuve du terrain.

C’est là que tout se joue.

Une IRM peut vous dire que la zone préfrontale s’active lors d’un effort d’attention.
Mais elle ne vous dira jamais comment réagir quand Kevin dort au fond de la classe ou que Fatima éclate en sanglots avant son contrôle.

Un chercheur peut démontrer que la mémoire à long terme est facilitée par le rappel actif.
Mais il ne vous dira pas quoi faire quand vos élèves préfèrent recopier le cours sans lever les yeux.

Un chercheur en blouse blanche qui n’a jamais mis les pieds dans une salle de classe bondée un vendredi après-midi… peut-il vraiment vous dire comment capter l’attention d’un ado de 15 ans ?

La salle de classe est un laboratoire chaotique :
Pas de conditions contrôlées.
Pas de double aveugle.
Pas de statistique, juste une horloge murale et des copies à corriger.

En résumé : les neurosciences, c’est un puzzle…

… et vous êtes celui qui tente de l’assembler avec des gants de boxe et des enfants qui crient en fond sonore.

Mais vous pouvez utiliser ce puzzle si :
– vous comprenez ses limites,
– vous savez ce que vous cherchez,
– et surtout : vous expérimentez sur le terrain, petit à petit, avec rigueur et bon sens.

C’est ce qu’on appelle :

La translational neuroscience — le pont entre laboratoire et salle de classe.
Encore faut-il qu’il y ait un pont, et pas juste une autoroute à péage réservée aux vendeurs de formations.

Ce que vous pouvez faire (vraiment)

Vous n’avez pas besoin d’un diplôme en neurosciences pour enseigner.
Mais vous avez besoin d’un filtre à « bullshit ».
Parce qu’entre une info utile et une info séduisante, il y a un gouffre. Et devinez quoi ? Vos élèves ne tomberont jamais dedans. Mais vous, si vous n’y prenez garde… vous y tombez chaque fois que vous appliquez des idées mal digérées.

Alors voilà les vraies questions à se poser, en tant qu’enseignant ou formateur :

1. Est-ce que ce contenu change mes pratiques ? Ou juste ma culture générale ?

La culture, c’est bien : ça élève l’esprit, ça donne du recul.

Mais si à la fin, vos élèves ne comprennent pas mieux, n’apprennent pas plus efficacement, n’osent pas davantage
alors cette information, même passionnante, reste dans le ciel des idées.

✍️ Une idée pédagogique qui ne descend jamais dans la classe reste une étoile filante : jolie, mais inutile.

2. Qui parle ? Et surtout : a-t-il déjà survécu à un lundi de rentrée en 4e B ?

Un formateur brillant, un conférencier charismatique, un neuroscientifique reconnu… très bien.
Mais a-t-il enseigné ?
Combien d’heures ? Combien d’années ? Dans quelles conditions ?

Parce que c’est facile de parler de motivation quand on n’a jamais eu 28 ados à 13h30, l’estomac vide et le portable dans la poche.

Demandez-vous toujours :

Est-ce que cette personne connaît le rugissement d’une classe quand on perd leur attention ?
A-t-elle déjà testé cette technique ? Ou ne fait-elle que la commenter depuis sa tour d’ivoire ?

3. Derrière chaque « étude », cherchez les nuances

Oui, les études scientifiques sont utiles.
Mais les vraies études sont longues, précises, pleines de conditionnels, de « suggèrent que », de marges d’erreur.

La vulgarisation aplatit tout.
La communication coupe les angles.
Et au bout, on vous sert un raccourci explosif du genre :

« Le cerveau gauche est logique, le cerveau droit est créatif. »

C’est pas totalement faux. Mais c’est presque toujours mal compris.

➡️ Oui, certaines fonctions sont latéralisées.
➡️ Oui, on observe des différences d’activation.
Mais le cerveau est un orchestre, pas une partition binaire.
La représentation est fausse, mais elle cache des vérités partielles, comme une caricature grossière qui fait quand même passer un message.

Une demi-vérité, dans les mains d’un pédagogue pressé, devient un mythe tenace.

4. Ce que la science affirme aujourd’hui… peut être démonté demain

C’est ça, la beauté (et la difficulté) de la science : rien n’est figé.

Un jour, on nous vend la sérotonine comme l’hormone du bonheur.
Alors on lance des médicaments pour stimuler la sérotonine cérébrale.
Et puis, quelques années plus tard…
Surprise : ça ne fonctionne pas.
Parce qu’en réalité, 90 % de la sérotonine est produite dans les intestins, par le microbiote [6] .
Et le lien entre humeur et neurotransmetteurs est bien plus complexe que ce qu’on croyait [5].

Autrement dit :

Ce que vous croyez savoir sur le cerveau n’est souvent qu’un instantané, pas une vérité éternelle.

Une méthode simple 

Quand vous lisez un article, écoutez une conférence ou regardez une vidéo « neuro », posez-vous cette check-list :

  1. Est-ce que l’idée est testable en classe ?
  2. Est-ce que l’auteur a enseigné (pas juste fait une conférence dans un lycée privé à Neuilly) ?
  3. Est-ce que l’étude citée est accessible, ou juste brandie comme une incantation ?
  4. Est-ce qu’il y a des nuances ? Des limites évoquées ? Une humilité dans le propos ?
  5. Et surtout : si j’applique ça demain, que se passe-t-il ?

Parce que c’est là que tout se joue.

La science n’est pas une vérité, c’est une méthode

La science – la vraie, pas celle des articles LinkedIn à paillettes –
ce n’est pas un ensemble de vérités gravées dans le marbre.
C’est une méthode, fondée sur :

  • l’observation,
  • l’expérimentation,
  • la comparaison entre groupes,
  • la reconnaissance du hasard,
  • l’estimation des effets,
  • et surtout : la réplicabilité des résultats.

Ce que les épidémiologistes savent depuis toujours :

Un facteur n’est jamais seul. Une corrélation n’est pas une causalité. Et un effet moyen peut cacher une foule d’exceptions.

Un médicament, un aliment, une méthode pédagogique : tout cela doit être testé, comparé, affiné.
Et ce qui marche dans une étude ne marchera pas forcément avec vos élèves.

Parce que la science est probabiliste, pas prophétique.
Elle dit : « cela fonctionne souvent », pas « cela fonctionnera toujours ».

Les neurosciences sont une lampe torche, pas une carte au trésor

Elles éclairent. Elles aident.
Mais elles ne remplacent ni votre jugement, ni votre expérience, ni votre intuition d’enseignant de terrain.

Elles vous donnent de la lumière.
Mais vous, vous avez les bottes.
Et vous marchez dans la boue du réel, pas dans les couloirs d’un laboratoire climatisé.

Alors oui, gardons les neurosciences.
Mais comme des boussoles, pas comme des oracles.
Gardons la science.
Mais comme une méthode, pas comme une vérité.

Et souvenons-nous :
c’est dans la classe – pas dans les colonnes d’un article scientifique –
que le savoir devient impact,
que l’idée devient action,
et que la pédagogie devient transformation.

Sources et références

[1] Weisberg, D., et al. 2008. The seductive allure of neuroscience explanations. Journal of Cognitive Neuroscience 20, 470–477. – https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2778755/

[2] Fernandez-Duque, D, et al. 2015. « Superfluous neuroscience information makes explanations of psychological phenomena more appealing ». Journal of Cognitive Neuroscience 27, 926–944. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25390208/

[3] « What is Neuroscience? » Département des neurosciences de l’Université de GeorgesTown. https://neuro.georgetown.edu/about-neuroscience/

[4] « What is Neuroscience? » Psychology Today https://www.psychologytoday.com/us/basics/neuroscience#

[5] Indigenous Bacteria from the Gut Microbiota Regulate Host Serotonin Biosynthesis April 2015, Pages 264-276 – https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0092867415002482

[6] L’influence du microbiote intestinal sur le métabolisme du tryptophane et sur notre santé – 13 Juin 2018 | Par Inserm – https://presse.inserm.fr/linfluence-du-microbiote-intestinal-sur-le-metabolisme-du-tryptophane-et-sur-notre-sante/31709/

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