Dernière modification de l’article le 27 septembre 2016 par Admin

2016_09_27_processus_apprentissageComment le processus d’apprentissage se développe t-il au niveau du cerveau ? Pourquoi est-il plus facile d’apprendre quand on est jeune ?

Interview de Marc SAVASTA, Directeur de recherche à l’INSERM, Directeur du laboratoire dynamique des réseaux Neuronaux du mouvement à l’Institut des neurosciences de Grenoble (1)

Faut-il prendre des substances comme peuvent l’être la drogue ou des médicaments pour qu’il y ait un phénomène d’accoutumance ?

Non pas obligatoirement, certaines activités, comme le sport peuvent créer ce phénomène d’accoutumance.

C’est-à-dire ?
Prenons l’exemple du sportif de haut niveau, comme ceux qui font du jogging, du marathon. Que ce soit à l’entraînement ou en compétition, il y a sécrétion d’endorphine par les cellules nerveuses. L’endorphine est une substance qui endort la douleur avec la particularité de plonger le sportif dans un état second. Lorsque le sportif arrête ou diminue fortement sa pratique sportive, il sécrète moins d’endorphine. Il ressent alors un manque qui peut le conduire parfois vers une forme de déprime : le cerveau appelle cette substance (comme peut le faire la faim), car celui-ci a appris à fonctionner de la sorte. Cet appel du cerveau poussera le sportif à reprendre un entraînement, même s’il peut être moins intensif.
 

Est-ce que ce processus est vrai pour d’autres domaines que le sport ?

Bien sûr. Cela c’est la même chose pour les personnes qui travaillent beaucoup et qui vivent sous pression, dans un état de stress. Lorsqu’elles partent à la retraite par exemple, elles se retrouvent déprimées car le rythme de vie est devenu différent, la tension nerveuse liée à l’activité professionnelle a disparu, si bien que l’organisme a du mal à s’habituer à ce nouveau rythme.

Est-ce qu’un élève qui n’aime pas travailler, pourrait, à force d’exercices, être amené à aimer le travail, tout comme le sportif qui a du plaisir à s’entraîner et devient dépendant ?

Oui cela est possible. Cela commence par l’apprentissage. Le fait d’être habitué à exercer une fonction intellectuelle de façon continue amène à sécréter là encore des endorphines qui peuvent générer une forme de plaisir. Le travail peut être associé à une notion de plaisir. Tout comme on l’a vu pour la cigarette ou pour les drogues
Il faut donc faire très attention aux types d’associations que pourrait faire le cerveau .
Oui tout à fait. Éviter absolument de prendre de la drogue sous quelque forme que ce soit et s’entraîner à associer le plaisir au fait d’apprendre, de faire du sport ….
 
Pourquoi on apprend plus facilement quand on est jeune (comme à 16 ans) et que cela devient plus difficile lorsque est âgé ?
On apprend à tout âge, quel que soit ce que l’on peut vouloir apprendre comme la musique, la danse etc. Le jeune a plus de facilité car son cerveau est plus plastique et les réseaux neuronaux qui régissent l’apprentissage via la mise en place de réseaux câblés se développent jusqu’à environ 20 à 25 ans. Il existe donc un terrain favorable à la mise en place des réseaux neuronaux. Par exemple un jeune musicien, un jeune pilote de voiture va acquérir, par rapport aux réflexes, à la sensibilité, une méthode de fonctionnement. Pourquoi ? Car les réseaux vont se mettre en place en fonction de cet apprentissage.
Une personne plus âgée pourra également le faire mais le terrain sera moins favorable, son réseau neuronal est déjà formé. Le cerveau est moins plastique qu’à 16 ans. Donc c’est pour cela qu’un jeune va s’adapter plus facilement et apprendre plus rapidement. Pour prendre une métaphore, c’est un peu comme la construction d’une maison : chez un jeune de 16 ans tous les éléments pour construire (béton etc.) sont sous la main et à disposition. Alors que chez la personne plus âgée les ingrédients sont peut-être là mais ils ne sont pas forcément sur place. Il faut aller les chercher là où ils se trouvent, ce qui prend plus de temps…
 

Cet effet positif dans une situation d’apprentissage explique aussi qu’il soit plus difficile de s’arrêter de fumer lorsque l’on a commencé à 16 ans voire plus jeunes?
Oui tout à fait. Pour le fumeur, (comportement de société) le cerveau réagit par rapport à l’approvisionnement de nicotine qui va influencer le sens du plaisir et donc du comportement. Il va donc se construire un réseau neuronal assez fort telle une autoroute. Cette autoroute c’est d’autant plus vite construite que l’environnement plastique du cerveau à 16 ans est élevé. Et évidemment il sera donc plus difficile de détruire ce réseau, cette autoroute vers 30 ans par exemple, car la plasticité du cerveau est moins forte à cet âge. Bien sûr l’arrêt de la cigarette est aussi et surtout une affaire de psychologie et de force de caractère liée à la volonté : certains pourront arrêter brutalement pour ne plus y revenir et d’autres n’y arriveront pas.
Ça c’est l’effet pervers chez le fumeur. Mais bien sûr cet effet se transforme en effet positif si on transpose ce cas dans le cas d’une situation d’apprentissage. Un jeune qui aura pris goût à apprendre jeune, va construire cette autoroute qui se maintiendra avec l’âge. Il gardera plus facilement ce goût pour apprendre.

 

Si on dit souvent que « chacun à sa façon d’apprendre » peut-on dire également « à chacun son cerveau » ?

Oui absolument, même si physiologiquement il est identique pour chacun d’entre nous. Chacun façonne ses propres réseaux neuronaux et les structure en fonction de son histoire, de son environnement (notamment familial) et aussi en fonction de son patrimoine génétique. C’est ainsi que chacun forge sa personnalité. C’est propre à chacun d’entre nous. D’où effectivement on peut dire « à chacun son cerveau ». Mais il faut tout de même savoir que l’on peut être prédisposé pour certaines aptitudes. Cependant dans un environnement défavorable la révélation de cette aptitude se fera difficilement ou ne se fera pas du tout. C’est comme cela que des surdoués peuvent, paradoxalement, se retrouver en échec scolaire.

Arrive-t-on à expliquer pourquoi certains ont des facultés exceptionnelles comme les surdoués ?
Non, on n’arrive pas à expliquer vraiment même si on peut penser qu’il y a un phénomène génétique qui entre en jeu. En revanche, on sait détecter les enfants surdoués que l’on essaie, le plus possible, de mettre dans un environnement plus approprié à leur capacité.
Avec l’IRM n’arrive-t-on à en savoir quand même un peu plus ? Par exemple de savoir si les surdoués n’ont pas une structure neuronale différente .
On pense que les surdoués ont des réseaux plus denses, plus développés mais on n’arrive pas encore à le démontrer, même avec l’outil formidable que peut être l’IRM.

Pourquoi cela ?Parce qu’une fonction, quelle qu’elle soit, n’est pas une fonction unique dans le cerveau. C’est à dire qu’il n’y a pas une zone « maths », une zone « voiture » ou encore une zone « philosophie ». C’est un ensemble de connexions complexe, qui fait appel à la mémoire, à notre environnement à notre patrimoine génétique…
Voici un exemple simple : quand vous conduisez, vous avez une aptitude à conduire. Cette aptitude est, bien entendu, plus forte, plus développée, chez un pilote de formule1 ou de rallye. Les régions de son cerveau impliquées dans la conduite mobilisent des facultés très diverses comme la mémoire, l’acuité visuelle, l’acuité sensorielle, le réflexe. Donc quand on fait une analyse IRM on ne peut pas voir, une zone précise qui serait justement cette aptitude à conduire.

Lorsque l’on a une lésion dans le cerveau, une région abîmée, on arrive à la « réparer » où est-ce irréversible?Dans le cas de maladies dégénératives ou issues d’accidents cérébraux on essaie de mettre au point des stratégies pour reconstituer les réseaux neuronaux. Comme on peut l’imaginer ce n’est pas aussi simple que cela. Il ne suffit pas de mettre des neurones là où il peut en manquer.

En résumé comment fait-on ?
Il faut remettre des ingrédients, c’est-à-dire des molécules qui vont permettre aux neurones de bien vivre et croître. Pour illustrer dans un langage simple c’est un peu l’engrais. Ensuite il faut la graine. Ce sont des cellules nerveuses. Mais on ne peut pas implanter des cellules nerveuses (des neurones) adultes. Ce sont des cellules appelées « cellules-souches » qui peuvent être différenciées en cellules nerveuses que l’on pourra implanter dans la zone concernée. Mais cela reste encore dans le domaine de l’expérimental.

Pourtant dans la maladie de Parkinson on arrive quand même à arranger les choses ?Oui c’est vrai mais la méthode est différente. Il ne s’agit pas ici d’implanter des cellules souches. On fait une stimulation électrique cérébrale. On va ainsi imposer aux neurones une activité électrique. Cette activité électrique va permettre de surmonter le problème lié au neuromédiateur (la dopamine) que nous avons évoqué au début. De cette façon on peut faire passer le message entre neurones et retrouver les activités fonctionnelles.

(1) Interview réalisé par apprendreaapprendre.com (2007)

 

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